Le coin du pêcheur, Daniel Nadaud, 1990
Cannes à pêche, fils de pêche, douille d’obus/ Don de l’artiste
Daniel Nadaud construit son travail autour d’objets du quotidien qui ont perdu leur valeur d’usage et leur association au sein de ses installations et sculptures leur confère un nouveau sens.
Jusqu’à aujourd’hui, rares sont les pièces produites par Daniel Nadaud qui s’éloignent de souvenirs réinventés. L’emploi d’objets retrouvés ou chinés teinte l’œuvre de l’artiste d’une intimité et d’une familiarité désuète due aux traces du temps.
La plupart du temps liées aux souvenirs d’enfance, Daniel Nadaud voit ses pièces comme la transcription et l’évocation de périodes d’incertitudes partagées entre la ville et la campagne.
Le Coin du Pêcheur réalisé en 1990 fait directement référence à la pêche à la grenouille que l’artiste a pratiquée dans son enfance. Cette activité à la fois paisible et cruelle lui permet de mettre en lumière la grande ambiguïté de la nature (et a fortiori de la campagne) qui oscille toujours entre lieu à la beauté calme et pacifique et théâtre de grandes horreurs et actes de cruauté. Par son architecture frêle, Le Coin du pêcheur prend la forme une sorte de piège métaphorique – pas très éloigné de la toile d’araignée. La tension entre les différents visages de la nature se retrouve dans celle des fils des cannes à pêche tous maintenus à une douille d’obus 75. Cet objet est comme une menace au sein de la pièce, un rappel discret mais gênant de l’impact de la Première Guerre Mondiale sur les campagnes : à demi enterré et comme tiré du sol par les cannes à pêche, il évoque les drames postérieurs à la guerre provoqués par l’explosion d’obus perdus dans les labours et activés par le soc d’une charrue. Par son évocation des horreurs que dissimule une nature enchanteresse, Le Coin du Pêcheur délivre le même message et se nourrit de la même atmosphère que le Dormeur du Val de Rimbaud, mais aussi l’œuvre littéraire de mémoire de Maurice Gennevoix. La douille d’obus rappelle également comment les familles confrontées à la découverte de résidus industriels de la guerre les ont réemployés de manière fonctionnelle mais aussi commémorative.
Daniel Nadaud a passé une partie de son enfance à une trentaine de kilomètres de Piacé. Depuis 2012, chaque année, il rassemble dans 1 cahier de 32 pages nommés d’après le Coin du Pêcheur; Cahier du Pêcheur, des souvenirs concernant la région. À la fois journaux intimes et recueils de récits ruraux, ces Cahiers reflètent bien la destination du Coin du Pêcheur: par le biais de ses souvenirs d’enfants, Daniel Nadaud donne une vision plus globale et multiforme de la campagne.
Le Coin du Pêcheur est par ailleurs une œuvre très graphique: les fines cannes à pêche et leur fil découpent le paysage, en troublent l’appréhension tandis que leurs contours mêmes sont difficiles à saisir grâce à ce jeu de rayures rouge et noir. Ce trouble optique que la forme et les couleurs de la pièce crée chez le spectateur en fait une sorte de sculpture vibrante, extrêmement aérienne.
Texte de Roma Lambert