Sans titre (Richard Lemieuvre), Stéphane Vigny, 2013
poteau EDF, dalles de verre cimentées/ production Piacé le Radieux
Longuement mûrie pendant 10 ans, la pièce présentée par Stéphane Vigny convoque aussi bien l’art dit savant que l’art populaire, étroitement mêlés dans cet art d’idée que pratique l’artiste. Inscrit dans sa réflexion sur les « objets modifiés », ce poteau électrique (dont la production par l’entreprise sarthoise Garzinsky Traploir commence après la Première Guerre mondiale et s’interrompt) présente des alcôves vitraillées selon une technique de « greffe et de juxtaposition » selon les mots de l’artiste. En effet, il joue à rapprocher des univers très différents (celui de la production industrielle et sérielle et celui de l’architecture religieuse) par un système d’analogie : les alvéoles du poteaux rappellent la forme des fenêtres romanes en plein cintre. De cette manière, il crée un lien fort entre son œuvre et l’église de Piacé dont les vitraux respectifs ont été réalisés selon la technique des dalles de verre cimentées (et non plombée) mise en point dans les années 30 – c’est à dire au moment même où Le Corbusier et Bézard réfléchissent au Centre coopératif et à la Ferme radieuse. Stéphane Vigny s’appuie sur la parfaite adéquation de la forme et de la fonction que présente ce poteau pour mettre en valeur un jeu subtile de correspondances : le poteau, bien que privé de son électrification, révèle toujours la lumière lorsque celle-ci traverse les vitraux (qui eux même se révèlent par le jeu de lumière). Grâce à ce jeu de résonance, Stéphane Vigny évoque le passage particulier dans l’histoire de la spiritualité que représente l’électrification des églises à partir du XIXe.
Installé non loin d’un véritable réseau, l’œuvre de l’artiste donne l’impression d’avoir toujours fait partie du paysage et met à mal son statut de sculpture. Plutôt qu’une pièce d’art contemporain, ce poteau évoque l’univers des arts populaires, ce génie créatif méconnu qui se fonde sur des pratiques de récupération et de réappropriations et qui conduit à poser une assiette au mur, ou à réemployer des pneus pour en faire des jardinières. Les recherches de Stéphane Vigny sont donc tournées vers le vernaculaire et il considère lui-même qu’il participe au folklore tout en y puisant inspiration et processus créatif. Selon lui, l’« imaginaire est dans le faire » et c’est la raison pour laquelle l’acte créateur est primordial dans son travail ; c’est lui qui détermine l’aspect définitif de l’œuvre par rapport au projet initial.
Le poteau électrique est un matériau brut que Stéphane Vigny détourne, modifie régulièrement (en réduction, couché sur le sol lors d’une expostion au Palais de Tokyo, ….) mais l’œuvre de Piacé est la première à faire de ce type d’objet une sorte de symbole proche du totem qui marque ainsi duablement le paysage tout en s’inscrivant pleinement dans l’histoire des lieux où il est présenté.
Texte de Roma Lambert