Chaises Sedia, « Autoprogettazione », Enzo Mari, 1974
Production Piacé le Radieux
Designer italien engagé, inspiré par l’idéologie marxiste et pionnier dans le concept du « do it yourself », Enzo Mari expose en 1974 une série de meubles abordables par tous dont le but est de révolutionner le système de production. En effet, il propose gratuitement aux visiteurs de l’exposition les plans des meubles présentés – plans qui sont par la suite réunis en catalogues – pour leur permettre de fabriquer eux mêmes ses créations. Ces meubles sont facilement réalisables à l’aide de planches standard et d’outil de bricolage usuels. En deux jours maximum, il est possible de meubler complètement un appartement avec chaises, lits, bureaux, tables, bibliothèque, armoire et bancs. Enzo Mari entend donner à l’acheteur l’intelligence même de son projet en le lui faisant faire, comme il l’explique lui-même : « J’ai pensé que si les gens étaient encouragés à construire de leur main une table, ils étaient alors à même de comprendre la pensée cachée derrière celle-ci. ». De cette manière, le designer espère également développer le regard critique du spectateur sur la production contemporaine pour le libérer du conditionnement idéologique, de la standardisation de ses goûts et de son comportement.
De plus, il encourage les acheteurs à lui renvoyer des photos de leurs meubles pour avoir connaissance de leurs choix et de leur apport à ses plans d’origine. Il donne ainsi la possibilité à tout un chacun de créer un meuble unique et personnel et rend à l’individu une certaine maîtrise sur la conception de son environnement.
De fait, Enzo Mari monte cette exposition de 1974 et propose cette démarche sous le titre de « Proposta per autoprogettazione », mot inventé par le designer que l’on pourrait imparfaitement traduire par « design personnel ».
Le modèle de chaise Sedia (modèle 1123 xP) offre un très bel exemple de ce mobilier aussi bien adapté pour l’intérieur que l’extérieur qui ne résulte pas d’une recherche plastique à proprement parler mais d’une volonté de pure fonctionnalité : s’appuyant sur la conception des bancs et des échafaudages des charpentiers, Enzo Mari propose des meubles résistants et stables (une planche mal coupée ne rend pas pour autant le meuble bancal) ainsi qu’une esthétique alternative au bon goût standardisé.
Cette recherche d’un design humaniste et révolutionnaire qui simplifie la relation entre le créateur et l’acheteur au point de court-circuiter le réseau des différents acteurs de l’industrie et de la distribution – hélas dévoyée et affadie par de grandes entreprises au cours des décennies suivantes – fait bien d’Enzo Mari le précurseur du Design Radical.
Texte de Roma Lambert