Corps d’osier, Christian Ragot, 2012*
Corps d’osier, interprétation libre et poétique, en osier et à l’échelle, de la Voiture minimum de Le Corbusier/ Production Piacé le Radieux/ Photo © ADAGP
*Espace privé Espace Bézard – Le Corbusier. Visible qu’aux moments des expositions temporaires, visites commentées ou sur rdv
À l’occasion de la 4e édition de la Quinzaine Radieuse, le designer français Christian Ragot (né en 1933) se penche sur un projet jamais réalisé de Le Corbusier et de son cousin Pierre Jeanneret : la Voiture Minimum imaginée en 1936.
Le Corbusier réalise les plans de cette voiture minimum dans le cadre d’un concours lancé par la Société des Ingénieurs Automobiles (SIA) en mai 1935. Le but de cette démarche est de relancer l’industrie automobile française alors en pleine crise et d’encourager les partenariats entre ingénieurs et industriels, mais les cousins Jeanneret voient plutôt dans ce concours l’occasion d’élargir leur réflexion sur les rapports entre l’homme et la ville en créant une voiture à usage urbain et inter-urbain. Ils s’appuient sur le règlement et les conditions techniques imposés par la SIA – qu’ils n’hésitent pas à contourner – pour imaginer un « véhicule minimaliste pour un maximum de fonctionnalités » : toit ouvrant, siège passager convertible en lit (parce que les voyages de nuit se développent !), … . Abordant le design automobile en architectes, les Jeanneret tentent d’appliquer les principe rationnels et fonctionnels de l’architecture à une automobile qui n’est plus destiné au seules élites (le designer automobile Giorgio Giurgiaro considère que oser faire passer le confort et l’accessibilité financière avant la beauté esthétique tient dans les années 30 de la véritable prouesse).
Le projet s’écarte trop des consignes de la SIA et ne remporte pas le concours. Le Corbusier fait la promotion de ses plans auprès de Fiat et de constructeurs tchèques, sans succès, et il faut attendre 1987 et l’exposition L’Aventure Le Corbusier : 1897-1965 organisée à l’occasion du centenaire de sa naissance au Centre Pompidou pour qu’un prototype en bois soit enfin réalisé par Girogio Giurgiaro pour la firme Ital Design.
Dans la lignée du designer automobile, Christian Ragot décide en 2012 de réaliser un autre modèle à échelle 1 de la Voiture Minimum et choisit un mode de production artisanal : le tressage de l’osier.
Cette technique très employée dans le monde rural – de la vannerie utilitaire aux bouquets de moisson – établi un trait d’union fort entre les recherches de Le Corbusier et le monde paysan ; rappel évident de l’intérêt de l’architecte pour les campagnes et ses projets utopiques pour Piacé. En plaçant sous le prototype des canettes de Coca Cola écrasées, Christian Ragot crée un contraste fort entre le tressage d’osier et les boites métallique aux couleurs vives et rappelle le clivage existant entre l’artisanat et la production industrielle immanquablement liée à la société de consommation dont Coca Cola est l’un des symboles les plus marquants. C’est également les compressions d’Arman que le designer évoque dans ce travail.
Corps d’osier, projet qui allie geste ludique et travail de mémoire emprunt de poésie (en témoigne le titre-jeu de mot) est à mi chemin entre design et art, à cheval entre deux monde comme le projet de la Voiture Minimum se situait entre conception automobile et réflexion urbaniste et architecturale.
Corps d’osier : jeu de mot, geste ludique, rappel poétique, travail de mémoire… recherche de plaisir autour de ce projet. C’est le pari que m’a inspiré ce travail « intemporel » de Le Corbusier et de Pierre Jeanneret. En 1935, ils n’avaient, malgré leur notoriété internationale, pas pu obtenir la collaboration d’industriels de l’automobile, pour réaliser l’ébauche d’un prototype de la Voiture Minimum ! Aujourd’hui, plus de soixante-quinze années plus tard, dans une société française industrielle délocalisée, démunie des outils de production courante, où en somme- nous de nos démarches marginales éclairées, de nos rêves ambitieux, annoncés par Victor Papanek, dans son ouvrage «design pour un monde meilleur» ? — Ragot 2012
Texte de Roma Lambert